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texte de Gil Melin | |||||||||
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Le forgeron | |||||||||
LAMARQUE, Du forgeron ! La tempête m’offrait l’occasion d’être seul, car en partant en Vendée pour finir de débiter les arbres abattus, je réussissais d’une part à effectuer ce travail nécessaire et d’autre part, je m’éloignais de chez moi et cette solitude me permettait en plus de me mesurer dans la conduite d’une vie quotidienne. J’avais cette activité de bûcheronnage qui me renvoyait de plusieurs façons vers mon enfance, la forêt, les gestes précis et sûrs de mon grand-père, de ces hommes qui possédaient la magie du geste artisanal. Dans ce silence, tout à mes mouvements, je replongeais dans cet environnement structurant où les hommes et leurs activités avaient cadré l’éducation du poseur de questions, du curieux de nature, celui dont la langue le démangeait de mille interrogations : Des comment tu fais çà, des pourquoi tu prends cet outil, et des pourquoi çà sent si fort ? Dans ce village où j’étais partout chez moi, où je n’avais pas d’heure pour rentrer, j’engrangeais, sans le savoir pour l’heure, des leçons de choses, des leçons d’objets et des leçons de gestes qui viendraient éclairer de leurs réalités rurales et modestes les concepts qu’on me présenterait plus tard. Alors qu’après cette tempête de la nativité j’avais tronçonné tout le jour, alors que ma tronçonneuse s’était déréglée, alors que la nuit tombait sur le vieux château fort, dans ce petit atelier de Talmont ST Hilaire qui sentait l’huile et les gaz d’échappement, alors je m’étais retrouvé soudain, sans contrainte , petit garçon dans mon Bizeneuille initiatique. Alors j’eu envie d’organiser le parcours pour Véro, pour lui dire, pour la conduire jusqu’à mes origines. Au début était l’âge du fer et le forgeron avait le charme de résider tout près de l’endroit ou j’allais chaque soir chercher le lait, chez la cousine Rose, à l’angle de la route de Deneuille. Le père Lamarque était sans doute le représentant de la force tranquille en tablier de cuir.Sans enfant il aurait pu avoir le rejet aigri vis à vis de ma turbulence juvénile. Au contraire il m’avait ouvert son antre de terre battue ferrugineuse. Dans la pénombre permanente qui lui permettait d’apprécier de son œil vulcanien la température adéquate pour la trempe idéale, je venais après l’école taper le fer, de vieux fer à cheval s’entend que le vieux forgeron m’autorisait à venir introduire au cœur de ce charbon brillant. J’avais tendance à vouloir trop activer la flamme en manœuvrant la poignée du ventilateur électrique car la forge était moderne, le vieux soufflet pendait au plafond noirci, obsolète et poussiéreux. J’aimais voir le père Lamarque saisir de sa patte gauche, avec ses grandes pinces, le fer presque blanc, le remuer rapidement pour en juger la couleur, puis dans une gerbe de micro étincelles venir le frapper sur l’enclume de son gros marteau bleuté qui tintait clair en prenant son élan sur le plat de celle-ci. En retombant, il libérait un son, mat d’abord, qui s’éclaircissait à mesure que le métal se refroidissait et noircissait en s’écaillant. Alors sans se presser, il allait rejoindre le cheval maintenu dans le travail de fer et alors que rien ne pouvait le laissait supposer pour le novice, ce fer qui paraissait inoffensif, ce fer subitement faisait crépiter la corne savamment taillée qui dégageait une odeur de kératine brûlée et qui embaumait l’air de la rue que le son de l’enclume habitait encore. Le cheval à mon grand étonnement ne bronchait pas. Je ne comprenais pas que ce sabot veiné de gris et de violet soit aussi isolant alors que la sole en était si sensible et le paturon si délicat. Il ne s’agissait là que de tentatives, que d’essais. Le fer repassait rapidement au feu pour acquérir de quelques coups la forme la plus adaptée puis plongeait en bouillonnant dans l’auge de pierre qui contenait une eau épaisse couleur de rouille. Alors, une poignée de clous à grosse tête cunéiforme en bouche, avec son marteau et sa paire de tenaille, le père LAMARQUE venait ajuster l’inerte à la vie qui dans un mois rejetterait à nouveau cet airain gaulois sur quelque pierre de cette maigre terre granitique du bocage bourbonnais. J’admirais les gestes précis du marteau qui frappait en glissant sur la tête du clou afin qu’il resurgisse sur le flanc du sabot un centimètre au-dessus de l’orifice de l’ancien clou. La tête de la tenaille, mise en enclume faisait se recourber la pointe qui tombait ensuite entre les deux tranchants. Deux coups précis enchâssaient celle ci dans la corne. Le cheval libéré de son étreinte piaffait de ses chaussures neuves. Les jeunes paysans, parfois, chevauchaient à cru et les jambes écartées leur monture issue de percheron ou de nivernais, et pas peu fiers regagnaient ainsi les fermes alentours. Le travail des socs de charrue était une autre affaire car l’inquiétant marteau pilon rentrait en action et dans cette nuit rougeoyante la came libérait cette masse tonitruante qui soudait la recharge, aplatissait, amenuisait l’acier que le forgeron trempait à l’huile pour rendre son tranchant à la pourfendeuse de terre. Lorsque plus tard j’entendis parler de dilatation des métaux, de température de couleurs, d’oxydoréduction j’avais dans la tête des sons et des odeurs que les profs de chimie ne pouvaient déceler. Gil Melin, février 2000 |
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© Lartigaud |