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texte de Gil Melin | |||||||||
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Les haies de mon bocage | |||||||||
Les haies de mon bocage Bourbonnais Le cœur de l’hiver battait là. Le gel durcissait les guérets. Les ornières des chemins laissées par les roues des tombereaux bleus s’ornaient de motifs de glace que le foisonnement du sol fragilisait. En poursuivant les merles (Turdus merula) et les grives (Turdus viscivorus) avec nos pigauds .(lance pierre), nous les brisions sous nos pas. Retentissait alors un bruit mat presque métallique de verre brisé. On faisait alors des ricochets de verre ! Le temps était venu pour les hommes d’entretenir les haies. En Bourbonnais, on parle de bouchures. Elles servent à boucher les embouches. Ces prés où les bêtes se repaissent d’une herbe parfois grasse. On disait alors les bêtes, jamais les vaches ! « On allait chercher les bêtes », « Chaque jour on panser les bêtes », « J’ai vendu une bête ». Il y avait là du respect, comme pour un bestiaire mystique, car chacune portait un nom. Pour l’heure les bêtes étaient bien au chaud dans les écuries, ce terme était générique et valable pour l’ensemble des bêtes ; vaches, velles et taureaux, cochons, godes et agneaux. Après le pansage du matin, il fallait donc s’extirper de la tiédeur de la cuisine où ronflait le poêle à bois, quitter la table du casse croute, pour aller dans les Chaumas, les Beurgières, les Grèzes, ou toute autre parcelle, poursuivre le re-façonnage des haies. Tous les deux ou trois ans au moins il fallait repeler les bouchures. En effet, les éronces (Rubus fructicosa), les agoyers (Rosa canina) et les stolons des épines noires (Prunus spinosa), ne se gênaient pas pour coloniser la tauvelle et gagner sur le champ. A l’aide d’un croissant qui se maniait de bas en haut, pour faire une coupe franche, on limitait ainsi la progression de cette strate arbustive de fruticées . Nous, les gamins nous ramassions ces coupes avec une pluche, puis à la fourche .Le travail se ponctuait ainsi de boursillées d’épines qui seraient brulées à la fin du chantier. Il fallait faire place nette afin que les animaux ne se blessassent point la sole de leurs onglons au printemps. Tout ce travail se faisait sans gant, dans le froid anesthésiant, mais le soir les échardes à retirer étaient douloureuses et s’envenimaient très vite. Parfois il fallait renforcer la haie, lorsque qu’une cépée était faiblarde, ou qu’un animal excité avait créait une brèche. On choisissait alors un peu plus loin, quelques solides pousses d’épines blanches (Crataegus monogyna) ou d’épines noires, que l’on coupaient au ras du sol avec le gouillard, la serpe locale. Elles étaient ensuite enfilées à l’oblique et parallèles dans l’épaisseur de la haie avec un fourchas, sorte de grand manche en bois, naturellement bifide à son extrémité. Il fallait de la force et de l’adresse pour ne pas se piquer sévèrement. Si les haies de défens étaient principalement épineuses elles abritaient aussi d’autres essences arbustives comme le bonnet carré (Euonymus europaeus), le sureau (Sambucus nigra, les écoussats (Ilex aquifolium), le coudrier Corrylus avellana et le cornouiller sanguin (Cornus sanguinea) . Il faudrait aussi rajouter l’ensemble d’un cortège d’herbacées pour être exhaustif… A cette époque on se chauffait presque uniquement au bois. On chauffait encore le four dans les grandes occasions, batteuses, baptêmes, mariages. On cuisait pour les cochons les treuffes (Solanum tuberosum) dans de grands chaudrons à couvercle avant que les autocuiseurs électriques ne les vouent au ferrailleur, puis au brocanteur. Pour satisfaire cette ressource énergétique, le bocage était donc aussi planté régulièrement de Chagnes (Quercus robur), et de Fragnes, (Fraximus exelsior). Ceci lui donnait un air de forêt. Chaque arbre suivant sa croissance était élagué tous les quinze ou vingt ans, et prenait alors des formes caractéristiques, soit de têtards ou têteaux au port sphérique, souvent on laissait une branche tire-sève, ce qui leur donnait un aspect surprenant de travail non fini. Cette branche non soutenue par les autres ayant tendance à pencher dangereusement. Parmi les plus vieux sujets, il n’était pas rare de les voir se creuser de l’intérieur, le cœur du bois ayant fini par pourrir complètement, ils constituaient alors des refuges pour une multitude d’animaux dont les « beurgauds » (Vespa crabo) que nos grand mères craignaient à la saison de la cueillette des poires lorsqu’elles confectionnaient le traditionnel piquenchâgne bourbonnais. Ces arbres prenaient le nom de cabotes. Si un sujet avait poussé bien droit, on le gardait comme bois d’œuvre, en l’émondant jusqu’au point ou les échelles pouvaient aller, il prenait alors une allure colonnaire. Il n’était pas rare de rencontrer aussi quelques cerisiers (Prunus avium) ou des noyers (Juglans regia) propices à l’ébénisterie. Dans les prés les plus humides on retrouvait alors des saules (Salix sp), des « oyards » ( Populus tremula ou alba), voir des vernes (Alnus glutinosa) au bord des ruisseaux. Lors de l’élagage de tous ces arbres, il fallait savoir manier la cougne (Hache large), juché parmi les branches, sans se blesser ni se faire culbuter par leur chute. Parfois grosses, les plus centrales se comportaient comme des arbres et fouailler l’air glacial de leur milliers de rameaux. Au fur et à mesure de cet élagage se formait un houppier inversé, faisant comme une jupe au vieux tronc dénudé. Les branches étaient débarrassées de leurs rameaux qui seraient ensuite conditionnés en fagots pour allumer le feu du matin ou pour chauffait le four. Rien ne se perdait. Les plus rectilignes serviraient de pieux pour les clôtures, de perches pour les hangars ou le jalignier que des dindes investiraient comme perchoir, de poutres pour les fenils ou de montants d’échelle après avoir été fendues dans toute leur longueur. Avec le houx, on ferait des têtes de maillets ou de masses. Avec le noisetier des manches d’outils du jardin ou des « paissieaux » (échalas) pour les haricots. Avec les cornouillers des manches d’outils pour l’établi. Les haies de mon bocage, étaient des terrains d’aventure. Nous connaissions les échaliers qui nous permettaient de passer d’un champ à l’autre sans avoir à ouvrir les claies à deux battants lors de nos échappées belles des jeudis après midi. Nous connaissions les « cabotes » ou nichaient les « chavants » (Strix aluco), les « chavants dorés » (Tyto alba) et les tiercelets (Falco tinnunculus). Elles étaient un réseau vivant de sauvagines que nous traquions seuls ou avec les chasseurs. Avant l’arrivée de la myxomatose, les haies qui surmontaient les talus des champs en pente, foisonnaient de lapins de garenne (Oryctolagus cuniculus), que nous chassions parfois au furet,(Mustela pustorius furo). Chaque champ recelait sa compagnie de perdrix grises (Perdrix perdrix) ou rouges (Alectoris rufa), et il n’était pas rare de lever quelques cailles (Coturnix coturnix) dans les blés. En fin d’été, dans les guérets surchauffés, on entendait le chant plaintif des « courlis de terre » ou œdicnèmes criards (Burhinus oedicnemus). Ils se dissimulaient, courant dans les fonds , entre les planches de cinq tours, mimétiques avec la texture de cette terre pauvre, issue des arènes granitiques. Ce réseau dense constituait de trame verte qui dissimulait un grand nombre de nos bêtises et nos premiers baisers furtifs d’adolescents campagnards, avertis mais nigauds. J’ai souvent mal, quand je vois que même encore de nos jours, après les remembrements catastrophiques on bouscule comme des fétus de paille ces troques centenaires, et que l’on déchiquète à l’épareuse ce qu’il reste de végétaux, pour laisser la place au maïs ensilage qui sera donné à des vaches qui n’ont même plus de cornes et dont les flatulences réchauffent la planète…. Gil MELIN Mai 2016
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