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texte de Gil Melin | |||||||||||||
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Le Charolais | |||||||||||||
De la vache à l’âme, au Cœur du bourbonnais Le concours Agricole général de la porte de Versailles est devenu pour le grand public une retrempe rurale, un aiguiseur de senteurs oubliées, un révélateur de saveurs pour les plus petits. Pour nos hommes politiques, affolés par le clonage, un bain de valeurs revitalisantes. Mais en déambulant dans la foule des travées, sauront-ils, en toute bonne foi, découvrir, au delà de la sensualité qui se dégage des animaux et de la faconde de bon aloi de ces éleveurs, la réalité pastorale qui nous renvoie aux « domesticateurs » des aurochs magdaléniens ? Sauront-ils imaginer la puissante beauté qui se dégage lorsque cette tonne et demie de muscles en meuglant gravement s’asperge de terre jusqu’au garrot ou qu’elle se souille de boue de la corne à l’épaule pour mieux montrer sa puissance de mâle agreste. Combien de gestes, d’histoires sans parole, leurs seront inaccessibles, car trop lointains, trop gommés inexorablement par les urbanités et, tout à fait malgré eux, pervertis par un sentimentalisme qui les éloignent du sacrifice qui ponctue tout acte d’élevage. Orientalement parlant ces éleveurs fonctionnent comme une caste. Cette famille, ma famille, comme les peuples primitifs du bassin méditerranéen, repose sur le culte du taureau, sur le modelage génétique de la puissance taurine transmise il est vrai par quelques femelles blanches qui depuis plus de soixante ans ont façonné la destinée du charolais. Ces hommes accrochés aux licols de cuir festonné ont concouru pour asseoir le berceau de la race. Les femmes penchées sur les berceaux et sur les litières aux sombres heures des guerres ont allaité enfants, veaux et couvées pour assurer la survie ordinaire. Ces hommes ont fait de quelque « Patricien », des « Aigle » et des « Sylvain », génies des airs ou des forêts, des taureaux d’exception, piliers d’une descendance colonisatrice. Mais pour cela combien de petits matins glacés, de nuits blanches ventées et froides entre le lit et l’écurie chaude, ammoniaquée qui vous déglace les narines comme une inhalation vous excite le cerveau. Etre éleveur, c’est être élevé au rang de l’animal, à cette force vitale qui vous vient des placentas comme une délivrance tiède, heureuse et rassurante. Être femme d’éleveur c’est prolonger ce sein maternel vers des attentes velléitaires de vêlages hypothétiques. C’est baptiser au fil des alphabets les nouveaux- nés en ayant le souci culturel, mythologique qui vous replonge aux sources du paganisme. C’est attendre sereine, à leur retour des foires et mercuriales, ces chasseurs assoupis, partis dans la nuit sur des rives masculines. Etre éleveur s’est se sentir plus que créateur c’est assembler des lignées, des tribus génétiques pour de verts pâturages. C’est détecter sous la mère le géniteur qui vous plaît et qui assurera la descendance dans l’harmonie de votre élevage. Cet empirisme éclairé peut affoler de froids généticiens traqueurs d’allèles, calculateurs de « blups » ou décrypteurs de génomes, mais ces éleveurs là, sont capables de vous retracer, sans aucune informatique toute la généalogie d’un taureau. Ils ont pétri, comme un sculpteur, l’argile de leur race et cet acte là les habite artistiquement. Et comme une œuvre d’art qui se mûrit dans l’intimité des étables, elle s’étale au grand jour dans des vernissages annuels avec un souci de gestes et d’attentions qui relève du maniérisme. De prime abord on pourrait juger cette communauté exclusive d’hommes, habitués à de rudes travaux, comme brutale et frustre. Bien au contraire, il y a chez eux une douceur et une sensualité exacerbée qui leur vient de ce rôle d’homme accoucheur. Assister les vaches à la naissance, plonger le bras jusqu’à l’épaule dans un utérus pour retourner un veau qui vient mal vous oblige au respect de l’âme de la matrice, même si le liquide amniotique brûle les plaies crevassées de vos doigts. Ils savent bien qu’ils ont en eux une part de féminité, entre eux les poignées de mains sont chaleureuses, les yeux plantés droits et francs dans l’intimité de l’autre. Les accolades sont sensuelles et les embrassades ne sont pas rares. Mais il faut avoir vécu ces ambiances hivernales aux aubes cassantes de gel, où sans cri, sans violence s’embarquent, dans les bétaillères des animaux pris dans leur sommeil. La veille tout a été préparé, les animaux douchés, les grandes caisses en bois, réserve des ustensiles de toilettage, vérifiées. Les meilleures bottes de foin de regain, les betteraves fourragères et les sacs de farine d’orge sont prêts pour rejoindre le cul du camion. Dans quelques heures, dans un enchevêtrement de nomades, sur le foirail, le défilé de ces bêtes puissantes et dociles, mais toujours prêtes à vous montrer leur force, ressemblera a quelque rentrée de classes ou par travée se rangent les élèves de différents niveaux. Dès que je pouvais m’évader de chez les Maristes de Saint Joseph et de leur enseignement classique, dès que je pouvais m’évader, j’aimais retrouver le contact de ces bêtes et de ces hommes. J’aimais surtout me rendre utile. J’aimais retrouver mon enfance et les racines de mon grand-père Gabriel qui avait initialisé, avant guerre, la sélection du troupeau. Je garde de ces instants sous la tutelle de l’oncle Jean des souvenirs de liberté et d’apprentissage ethnographique du monde. Sans faire réellement partie de la caste des bouviers j’en connais les arcanes car j’y ai manié les cardes et les étrilles pour dresser le poil et faire paraître un dos plus large, une culotte plus rebondie, un canon plus épais ou un grasset bien dégagé. J’ai défilé dans la crainte à Boussac, Montluçon, Nevers, Moulins et Vichy. J’ai conduit pas peu fier des prix d’honneur et je me suis arc-bouté sur les longes des prix d’ensemble pour que les quatre taurillons offrent leurs têtes non pas au merlin du tueur, mais à l’œil du jury ou du photographe. J’ai eu le cœur battant au moment du classement, J’ai torché des traces de bouse malvenues avec un bouchon de paille. J’ai bu du viandox à sept heures du matin pour me réchauffer. J’ai dormi dans la paille abrutie de fatigue. Gil MELIN Le 6 Mai 2000 Texte écrit en l’honneur de ma tante Ginette lors du repas de son quatre-vingtième anniversaire |
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© Lartigaud |