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........L'étang
de Mauvaisinière était
aussi vieux que le vieux Château
qu'il surplombait. Il était si vieux que presque plus
personne ne se souvenait de sa dernière pêche.
Seuls quelques enfants, à l'époque impressionnés
par les anodontes vaseuses, avaient gardé en mémoire
cet événement.
........Ce
vieil étang était donc la risée des vents
du nord qui seuls pouvaient l'atteindre. La jetée en
pierre qui le fondait, s'appuyait sur un de ces verrous de
granit qui structuraient le paysage de ce village bourbonnais.
La bonde pourrie et rouillée, devenue inefficace, n'était
plus, et depuis longtemps, qu'un perchoir idéal pour
les martins-pêcheurs. Si les abords avaient retentis
du bruit des lavandières avant que les machines à
tambours ne les remplacent, ils étaient maintenant
colonisés par les orties, les saules et les iris. Sur
la rive opposée et boisée, des chênes
pédonculés mal fixés dans leurs arènes
granitiques, comme des Narcisses imprudents s'abîmaient
régulièrement à la surface de l'eau.
En ce printemps humide, la couleur en ce lieu n'était
pas de mise. L'étang virait au sombre une partie de
l'année dans la froideur de son écrin lithique.
Cependant un y regardant de près l'on pouvait surprendre
quelques violettes, des touffes de primevères et de
pulmonaires que l'on nomme ici d'ailleurs coucous rouges.
Les épervières et les euphorbes ne sortaient
qu'à peine de la maigre litière, et fleuriraient
le mois suivant. Si les sittelles et les mésanges essayaient
de se convaincre que la période des amours était
là, les troglodytes mignons s'agitaient déjà
dans le fouillis des berges. La huppe fasciée revenue
de son voyage africain avait devancé le coucou et près
de son chêne creux elle ponctuait les ondes de son "
pou poup " flûté.
........Cet
endroit se souvenait-il d'avoir été le lieu
de baignades et de loisirs de plusieurs générations
? Mon grand-père fils des fermiers du château
avait appris à nager entre deux séances d'hébertisme
avec le capitaine de Marcilly. Quelle guerre de 14 avaient-ils
fait chacun séparément ? Mes parents comme toute
leur génération étaient venus à
la plage avec la fille du maire, Georges PATIER, acquéreur
en viager du vieux château. Et moi, j'ai fait ici mes
premières brasses encouragées par notre instituteur
plus que laïc.
........Ce jour de Pâques
glisse sur l'eau comme les choucas glissent de leur clocher
vers le gris du ciel, et moi, je me glisse dans le chaos des
blocs, derrière l'étang où le bruit de
l'eau du trop plein me convie. Je m'isole ainsi dans un décor
de mousse, et de lierre que quelques touffes de ficaires éclairent
de leurs étoiles jaunes. L'eau, ici dérive en
micro cascades qui suivent les diaclases de ce socle hercynien.
Trop enrichie par des pratiques agricoles sur lesquelles j'aurais
à redire, elle se charge d'algues vertes filamenteuses
qui piègent les particules rougeâtres des oxydes
ferriques. Dans cet espace rudéral le saut de l'étang
est généreusement chaotique. Gamin il nous était
interdit. L'ombre, l'humidité, le trou étaient
forcément maléfiques. Les arbres s'y sont organisés
en un désordre exubérant, les vivants supportent
des charges impressionnantes de lierre. Les morts, moussus,
luisants et pourrissants servent de terreau aux oxalis rares,
aux fougères femelles, aux orties nitrophiles et aux
hépatiques surprenantes. Entre les flaques inquiétantes,
les lamiers jaunes oseront-ils se mirer dans cette eau ferrugineuse
qui stagne sur les vestiges de l'ancien vivier que les peupliers
colossaux ont asséché avant de s'effondrer il
y a peu ?
Ce
lieu me replonge dans des racines presque millénaires,
voire celtiques, tant il lui incombe de destinées profondes
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